Créances alimentaires : le contrôle des dépenses, sans l’objectivation du montant ?


Après son vote par la Chambre des Représentants en juin 2009, le projet de loi « visant à promouvoir une objectivation des contributions alimentaires au profit des enfants » a été adopté au Sénat ce 18 janvier 2010. On pourrait y voir une bonne nouvelle, dans la mesure où Vie Féminine demandait qu’une loi rende le calcul des pensions alimentaires plus objectif, plus juste et plus prévisible. En effet, le flou entourant la fixation de ces montants par les juges est souvent avancé comme une des causes principales de défaut de paiement des pensions alimentaires... Mais ne nous réjouissons pas trop vite ! Il est vrai que trois aspects positifs figurent dans ce texte : le jugement devra mentionner l’existence et les missions du SECAL, la loi facilitera la pratique de la « délégation de sommes [1] » et le montant des pensions alimentaires suivra l’indice des prix à la consommation. Mais ces dispositions intéressantes ne font pas le poids face aux lacunes et aux "innovations" que nous épinglons ci-dessous...

Pas de méthode de calcul !
Tout d’abord, le projet de loi ne mentionne aucun mode de calcul. Il se contente de préciser les types de revenus que le juge doit prendre en compte et d’expliciter ce qu’il faut entendre par frais ordinaires et extraordinaires. Pour le reste, le juge reste libre de fixer le montant de la créance alimentaire bien qu’il doive maintenant motiver sa décision (Code judiciare, art.1321). Le projet prévoit bien l’installation d’une commission des contributions alimentaires et la possibilité de fixer une méthode de calcul par arrêté royal, mais les discussions parlementaires ont montré qu’il n’y avait pas d’accord pour concrétiser rapidement cette idée. Nous sommes donc très loin de la généralisation d’un mode unique de calcul, comme par exemple la méthode Renard [2]qui est soutenue par la Plate-forme associative Créances alimentaires.

Un « compte-enfant » pour contrôler les dépenses ?
Par contre, apparaît une nouveauté : le « compte-enfant ». L’ouverture de ce compte bancaire destiné au paiement des contributions alimentaires peut être imposée par le juge « à la demande du père ou de la mère » (art. 203 bis, §4). C’est également le juge qui détermine l’utilisation de ce compte : montants versés, frais couverts, organisation des dépenses et du contrôle des dépenses. Le texte prévoit aussi que les allocations familiales puissent être versées sur ce compte, et qu’elles soient donc placées sous la supervision permanente de l’autre parent. Or, selon un avis du Conseil Supérieur de la Justice [3], « il faut éviter que les contributions de l’enfant soient versées sur ce compte plutôt qu’attribuées au parent ayant droit à une contribution alimentaire, puisque ces allocations familiales doivent tout de même avant tout servir à financer les frais d’entretien ordinaires. » Plus globalement, le Conseil Supérieur de la Justice recommande que l’utilisation du compte-enfant soit limitée aux frais extraordinaires.

Une mise sous tutelle inacceptable
Pour nous, la proposition de loi actuelle prévoit la possibilité d’une mise sous tutelle pure et simple des décisions prises à propos du budget familial par le parent qui bénéficie des contributions alimentaires. Ceci nous semble d’autant plus choquant que, pour les familles monoparentales à faibles revenus – soit l’écrasante majorité des familles monoparentales du monde populaire –, il sera impossible de démêler des autres frais courants – et donc de prouver – la part consacrée pour l’enfant au loyer, au chauffage, aux déplacements, à la nourriture, aux soins, etc. De plus, dans le cadre de notre recherche sur la précarité, les femmes ont souvent rapporté que pour leurs enfants, elles se privent déjà elles-mêmes de certains besoins pourtant fondamentaux (santé, alimentation, etc.). Enfin, cette suspicion et ce contrôle sont d’autant plus inacceptables que, la plupart du temps, les créances alimentaires sont de toute façon trop basses pour que le coût réel de l’enfant soit assumé de manière équitable par le parent débiteur.

Nous sommes donc inquiètes de voir qu’une telle mesure puisse être adoptée sans que personne, ou presque, n’en imagine les conséquences (jugements, contrôle, discussions à n’en plus finir de la part des débiteurs) pour les créanciers, en fait des créancières ! Malgré nos interpellations, le projet a été voté tel quel. De retour à la Chambre, nous espérons qu’il puisse être à nouveau examiné, au moins sur ce point.

Portfolio



[1Saisie d’une partie des revenus du débiteur « à la source ».

[2Coefficient de proportionnalité qui traduirait le coût théorique de l’enfant en fonction des revenus des parents et de son âge.

[3Avis relatif à la proposition de loi du 28 janvier 2009 visant à promouvoir une objectivation du calcul des contributions alimentaires des père et mère au profit de leurs enfants, CSJ, 24 juin 2009, p. 8-10 (Source : http://www.csj.be).

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