Compte enfant : vers une mise sous tutelle des mères


Ce jeudi 4 mars, la Chambre s’apprête à voter un projet de loi qui vise à « objectiver les créances alimentaires » et qui instaure aussi le « compte enfant » . L’ouverture de ce compte bancaire destiné au paiement des contributions alimentaires peut être imposée par le juge « à la demande du père ou de la mère » (art. 203 bis, §4). C’est également le juge qui détermine l’utilisation de ce compte : montants versés, frais couverts, organisation des dépenses et du contrôle des dépenses. Le texte prévoit aussi que les allocations familiales puissent être versées sur ce compte, et soient donc placées sous la supervision permanente de l’autre parent.


Malgré des interpellations successives, nos parlementaires vont une fois de plus faire la preuve de leur incapacité à anticiper les conséquences de leurs décisions sur les personnes les plus précaires, ici les familles monoparentales. En votant cette loi, ils/elles mettent en place les conditions pour que demain, les femmes qui sont le plus souvent à la tête de ces familles voient leurs dépenses contrôlées et qu’ensuite, elles doivent se démener pour justifier jusqu’au moindre centime dépensé pour leur(s) enfant(s)...

Première conséquence : il n’est pas difficile d’imaginer l’outil de contrôle que représente un tel système lorsqu’il est imposé par l’un des parents à l’autre, surtout si les conflits ne sont pas apaisés. Pour nous, il s’agit purement et simplement d’une mise sous tutelle du parent qui bénéficie des contributions alimentaires et de ses décisions à propos du budget familial. Une mise sous tutelle d’autant plus inacceptable qu’elle peut même concerner les allocations familiales qui sont, jusqu’à présent, dans la grande majorité des cas versées à la mère, comme l’exige la loi.

Une deuxième conséquence prévisible est l’impossibilité de gérer concrètement cette mesure. Faudra-t-il justifier chaque dépense consacrée à l’enfant ? Dans ce cas, il faut savoir que, pour les familles monoparentales à faibles revenus – soit l’écrasante majorité des familles monoparentales du monde populaire –, il sera impossible de démêler des autres frais courants – et donc de prouver – la part consacrée pour l’enfant au loyer, au chauffage, aux déplacements, à la nourriture, aux soins, etc. Le Conseil Supérieur de la Justice, pour sa part, craint d’ailleurs que ce compte «  ne fasse naître davantage de problèmes et de discussions qu’il n’en résoudra [1] » .

Et troisième conséquence, ce procédé ne va certainement pas diminuer la précarité des familles monoparentales. On sait que les pensions alimentaires sont souvent insuffisantes pour assurer une contribution équitable du parent débiteur aux frais réellement nécessaires pour son enfant. Et de nombreuses femmes témoignent déjà des privations qu’elles consentent pour répondre en priorité aux besoins de leur(s) enfant(s). Or la nouvelle loi ne propose aucune objectivation des contributions alimentaires qui aille dans le sens de cette prise en charge du « coût réel » de l’enfant.

Cette précarité que vivent les familles monoparentales - dont une majorité écrasante est composée de femmes avec leur(s) enfant(s) –, nous ne sommes pourtant pas seules à la dénoncer. Elle est régulièrement mise en lumière par des études scientifiques ou de terrain, comme celles menées dernièrement par la Fondation Roi Baudouin ou la Fédération wallonne des CPAS. Mais, imperturbables, nos député-e-s continuent à ne pas tenir compte de cette réalité !

Au vu des échos reçus par les parlementaires de différents partis, nous n’avons guère d’espoir sur une possible marche arrière ce jeudi : le texte fait l’unanimité, nous dit-on ! Il y a consensus autour d’un projet de loi qui ne prévoit aucun mode de calcul du montant des pensions alimentaires et qui permet au juge d’imposer l’ouverture d’un compte enfant à la demande du débiteur.

Tout ceci est d’autant plus choquant que ce samedi 6 mars, dans un élan de « solidarité », beaucoup de responsables politiques viendront se joindre à la Marche Mondiale des Femmes pour dénoncer notamment le manque d’autonomie économique des femmes !

Portfolio



[1Conseil Supérieur de la Justice, avis du 24 juin 2009, p.8.

Nous avons besoin de votre soutien