Trop souvent, les violences conjugales sont qualifiées de "drames familiaux", de "crimes passionnels", de "disputes qui tournent mal"... Or ces mots masquent une réalité centrale : les violences commises par ces hommes sur leur (ex-) compagne sont, en réalité, l’un des rouages d’un système global de domination d’un sexe sur l’autre. Pour comprendre comment fonctionne et se maintient ce système patriarcal, il faut prendre en compte ses différentes dimensions. Précisons d’abord que la domination masculine est intégrée par la plupart d’entre nous, hommes et femmes, dès l’enfance. Cette intégration passe, entre autres, par ce qu’on appelle le sexisme ordinaire, qui permet à une violence dite « légère », « sans conséquence » de rentrer dans le langage courant, dans la pensée dominante : blagues sexistes, interpellations des jeunes filles et des femmes en rue, commentaires vestimentaires ou physiques, renvoi des femmes aux rôles traditionnels, etc. De plus, la violence en général est omniprésente dans la société, dans l’ensemble des rapports de pouvoir, dans les médias, le divertissement... Cette violence « de tous les jours » participe aussi à la légitimation des violences contre les femmes. Enfin, les représentations communes de la séduction et de la sexualité sont stéréotypées, inégalitaires et souvent dégradantes, quand elles ne sont pas explicitement associées à la violence contre les femmes. Formant l’un des piliers du système patriarcal, les rôles traditionnellement attribués aux hommes et aux femmes se retrouvent au cœur des violences conjugales : ils servent à excuser l’auteur, mais aussi à accuser la victime qui ne remplirait pas ses devoirs de "bonne compagne" et/ou de "bonne mère". Or ces rôles ne sont pas le produit d’un destin biologique, mais bien des constructions sociales. En effet, ils servent à maintenir et à reproduire la domination patriarcale en confinant les femmes dans des rôles privés et subalternes, tandis que l’espace public et le pouvoir reviennent aux hommes. Les violences contre les femmes constituent l’une des formes extrêmes de ce rapport de domination. Elles servent, en quelque sorte, à forcer les femmes à "rentrer dans le rang", à se conformer à ce que leur partenaire exige d’elles.
Pour comprendre que la violence conjugale est l’une des composantes de la domination masculine, il faut donc questionner en profondeur les rôles attribués aux hommes et aux femmes par notre société. Pour les femmes, le modèle identitaire dominant est basé sur le devoir de prendre en charge les besoins de leurs proches en tout temps et en toutes circonstances, ce qui leur laisse peu d’espace pour leurs propres besoins. Elles apprennent ainsi davantage que les hommes à mettre entre parenthèses leur bien-être personnel, à privilégier l’autre aux dépens d’elles-mêmes, quitte à supporter la violence lorsqu’elle surgit. On le voit, par les valeurs inégalitaires et sexistes qu’elle véhicule, la société - et donc ses institutions - crée les conditions d’émergence et de tolérance de la violence conjugale. Ce lien entre la domination patriarcale et les violences conjugales commence d’ailleurs à trouver un écho officiel. Dans sa Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, l’Assemblée générale des Nations Unies explique que « la violence à l’égard des femmes traduit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, lesquels ont abouti à la domination et à la discrimination exercées par les premiers et freiné la promotion des secondes ». De même, la conférence interministérielle belge du 8 février 2006 a défini les violences conjugales comme la « manifestation dans la sphère privée des relations de pouvoir inégales entre les hommes et les femmes encore à l’œuvre dans notre société ».