Sarah Pflug - Burst

Des inégalités gravées dans les corps des femmes

Carte blanche

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« Quand j’étais petite, je me suis vite rendu compte que c’était beaucoup plus facile, dans notre société, d’être un garçon plutôt qu’une fille… On devrait pouvoir rêver à garder le corps qu’on a, tout en ayant la place qu’on veut. »


Cette phrase entendue au détour d’ateliers au sujet du corps mis en place chez Vie Féminine résume avec force une réalité encore trop sous-estimée : notre corps nous « situe », il parle, il répond. Il n’est pas neutre.

Le corps est aussi une construction sociale : il dépend de normes socialement construites, qui diffèrent selon l’époque et les moments de nos vies. Être identifiée « femme », par exemple, mais aussi l’endroit où je suis née, ma couleur de peau, ma corpulence, mon handicap, etc. et le regard que porte la société sur chacun de ces attributs physiques, façonne l’expérience que je peux avoir de mon corps.

Il y a la manière dont il est perçu, dont je le perçois, ce qu’il me permet ou m’empêche de faire, les normes auxquelles il correspond - ou pas, ce dont il est chargé symboliquement, ce qu’on attend habituellement de lui.

Si notre corps nous permet de vivre et de réaliser un tas de choses, il est aussi celui qui enferme, qui contraint, qui fait peser, qui vient donner plus ou moins de valeur dans ce monde-ci, c’est aussi celui qui infléchit les possibilités d’une vie menée avec ce corps-là.

Et si là aussi, les inégalités sont au rendez-vous, les femmes en cumulent un grand nombre d’entre elles.

La place qu’on veut ?
Avoir un corps de femme, c’est occuper une place bien précise, respecter des codes précis, intérioriser et intégrer des menaces bien précises elles aussi, pour finalement rejoindre un destin tout façonné.

Évidemment, avoir un corps d’homme comporte aussi certains désavantages et son lot de représentations contraignantes… Mais ce qu’on peut observer, c’est que la manière dont on nous fait percevoir nos corps, aux unes et aux autres, ne nous promet pas les mêmes types d’avenir.

Parler de virilité aux hommes, et de fragilité aux femmes (deux « mythes » qui prennent racine en partie dans nos corps et en font leurs principaux prétextes) ne prépare pas à affronter l’existence de la même manière.

Un corps de femme et tout ce qui le sous-tend ne nous fera pas rêver la vie de la même façon, ne nous emmènera pas aux mêmes endroits (ni aux mêmes heures), ne nous permettra pas de grimper aussi facilement les mêmes échelons, voire ne nous permettra pas d’envisager que dire non peut être une force, nous poussera sans doute à culpabiliser si nous ne sommes pas là où on nous attend, comme maman attentive ou comme femme aimante et compréhensive. Parce que ça aussi semble venir s’inscrire dans nos corps.

Des discriminations au « devoir conjugal » en passant par les violences faites aux femmes, incessantes, les femmes peinent à se frayer leur propre chemin vers la réappropriation de leur corps, de ses droits et de ses possibilités. Car aujourd’hui encore, ces violences montrent à quel point n’importe quel homme peut se permettre de rappeler à n’importe quelle femme, à la sienne ou à une inconnue, le rapport de domination et l’ordre genré présent dans notre société.

Il est urgent de permettre aux femmes d’aborder la complexité de leurs rapports à leurs propres corps, en décodant notamment la part de construction sociétale dans ces rapports, en ce compris la pression que le capitalisme, le patriarcat et le racisme opèrent sur eux, ainsi que l’aspect politique qu’ils peuvent revêtir.

Un corps qui ne laisse pas toujours le choix

Mais comment faire ses propres choix, quand on nous socialise en nous cachant qu’on en a autant ? Quand on nous assigne à une série de codes aussi entravants les uns que les autres ? Ou encore quand la société fonde sur nos différences une hiérarchisation et un rapport de domination ?

Comment devenir réellement autonome dans une histoire qui s’acharne à faire du corps des femmes un trophée, un objet de marchandage, une possession comme une autre, une histoire qui nous précarise avec force en faisant de nos parcours d’émancipation des chemins parsemés d’embûches ?

Évidemment, ce sera aussi la capacité de ce corps de femmes de fabriquer d’autres corps de femmes et d’hommes qui sera un élément déterminant dans cette volonté de soumettre les femmes à une dépendance quasi organisée jusqu’à nos jours…

Difficile et périlleux aussi de décoder les chaînes accumulées au fil des années, mais aussi au fil de sa propre histoire ; difficile d’envisager autre chose que ce qu’on a toujours vu, connu, pensé, appréhendé… Et pourtant, c’est ce qu’ambitionnent les ateliers de Vie Féminine sur le sujet, qui prennent le temps de passer en revue toute une série des dimensions du corps des femmes, avec et à partir d’elles-mêmes, dans une réflexion collective et bienveillante.

Un rendez-vous avec soi et les autres

Réfléchir au contrôle visible et invisible (ou intériorisé) sur notre corps de femmes, aux endroits où on sent qu’il n’est pas à sa place, qu’il n’y est ni désiré ni même pensé. Décoder ce que nous disent les normes de beauté, ce que nous vole le temps pris à se préparer pour paraître au regard de l’autre (celui qui peut aussi invalider notre corps et le rendre finalement si « différent »).

Questionner l’horizon sur lequel on entend que la sexualité des femmes s’inscrive, à grand renfort de produits de consommation ou de « scripts sexuels » tout faits dans lesquels elles devront s’insérer, explorer la maternité comme choix ou non-choix, ou encore repérer et soulever ensemble certains malaises liés aux règles : autant de matières aussi précieuses les unes que les autres pour nous renforcer dans la légitimité de ce droit à disposer de nos corps et à déployer des stratégies qui nous renforcent.

Une Carte Blanche de Vie Féminine publiée initialement sur le site Les Grenades-RTBF


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