Début 2013, des féministes belges adressaient le texte ci-dessous aux membres des différents parlements belges afin de les appeler à construire et prendre en compte des résistances et alternatives à l’austérité en Belgique et en Europe, et à ne pas donner leur assentiment au Pacte budgétaire européen (TSCG).
Vie Féminine faisait partie des initiatrices de cet appel.
Vous trouverez en bas de cette page les premières signataires et les signataires suivant-e-s de l’appel, ainsi que l’appel de Vie Féminine aux parlementaires devant encore le voter fin décembre 2013.
Texte de l’appel
Monsieur le Président du Parlement Wallon,
Madame la Présidente du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale,
Monsieur le Président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles,
Madame la Présidente du Sénat et Monsieur le Président de la Chambre des Représentants,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Concerne : appel de féministes belges contre le Pacte budgétaire
Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de la zone euro, dit Pacte budgétaire, est entré en vigueur le 1er janvier 2013 puisqu’il avait été ratifié à cette date par 12 des 15 pays de la zone euro. La Belgique fait partie des États ne l’ayant pas encore ratifié, qui peuvent encore s’y opposer.
Ce Traité implique l’inscription de la Règle d’or, qui engage les États à avoir des comptes publics en équilibre ou en excédent sur l’ensemble d’un cycle économique, dans la Constitution ou dans un texte de loi de chaque pays. Ce pacte, en durcissant encore les règles qui encadrent les budgets publics des États, franchit une étape majeure dans l’imposition d’une austérité permanente. Or déjà , les plans d’austérité appliqués dans les pays européens ont des conséquences très négatives sur les populations et, en touchant plus durement les plus précaires, accroissent encore les inégalités.
L’austérité est non seulement inacceptable sur le plan social, mais elle ne permet pas de sortir de la crise : les revenus des ménages stagnent ou baissent comme donc leur consommation ; de même les investissements des entreprises ; l’activité économique ralentit entraînant une baisse des recettes fiscales, d’où des difficultés supplémentaires pour diminuer le déficit public, à l’opposé du but visé. Les États empruntent alors aux marchés financiers, ce qui accroît l’endettement et sert de prétexte à ces marchés pour exiger un nouveau tour de vis. Cette situation n’a rien d’inéluctable, elle est le résultat des choix politiques qui ont été faits pour la construction néolibérale de l’Europe : la règle qui oblige les États à se financer auprès des marchés financiers, ce qui leur offre une rente sur un plateau et un pouvoir exorbitant, peut et doit être changée.
En outre, le Pacte budgétaire instaure un contrôle préalable des budgets publics par la Commission européenne, ainsi que des sanctions en cas de non-respect des règles. Loin de remettre en cause le diktat de la finance, les nouvelles normes ont pour objet de « rassurer les marchés financiers ». Le Pacte parachève ainsi la construction néolibérale de l’Europe, constitue une menace pour la démocratie et pour les droits des populations. Son application en Belgique aboutirait à une régression sociale sans précédent.
Comme de nombreuses analyses le soulignent [1], même si toutes les couches populaires sont concernées, les femmes subissent plus durement les mesures d’austérité, faites de coupes dans les services publics et la protection sociale, des mesures qui viennent s’ajouter à un accroissement des difficultés qu’elles rencontrent sur le marché de l’emploi.
En effet, parce qu’elles forment la grande majorité des précaires, qu’elles sont plus souvent au chômage et en sous-emploi, elles sont particulièrement touchées par les coupes en sécurité sociale. Les restrictions des droits au chômage sont les plus dures pour les cohabitant-e-s (en majorité des femmes) que ce soit en termes de dégressivité des allocations de chômage ou de limitation des allocations d’insertion professionnelle (anciennement « allocations d’attente »). De plus, la dégressivité accrue des allocations pousse les chômeurs et les chômeuses à accepter n’importe quel emploi, ce qui est particulièrement vrai pour les femmes qui étaient déjà orientées vers les emplois les plus précaires (titres-services, grande distribution, soins aux personnes, etc.). Le durcissement des conditions d’accès aux prépensions ou au chômage avec complément d’entreprise les en écarte encore davantage, elles qui étaient déjà peu concernées par les différents aménagements de fin de carrière étant donné leurs parcours professionnels hachurés (beaucoup doivent en effet réduire ou interrompre leur carrière pour assumer des responsabilités familiales) et la compression des temps de travail à temps partiel.
De plus, comme elles portent encore principalement la charge des familles, elles sont les premières usagères des services publics et les principales allocataires des prestations sociales et familiales. Du fait de leur recul et du démantèlement progressif de l’État social, les femmes sont contraintes d’assurer tout ce qui n’est plus pris en charge par la collectivité ; leur travail (invisible) dans la sphère privée augmente, leur rôle traditionnel dans la famille s’en trouve renforcé, au détriment de leur travail rémunéré, de leur autonomie, voire de leur santé. Les femmes sont également les premières touchées par les réductions des dépenses dans le secteur public, et notamment dans le secteur des soins de santé, non seulement comme bénéficiaires, mais aussi comme travailleuses de ces secteurs (conditions de travail, de rythme imposé, de stress, etc.).
Alors que des investissements publics massifs sont indispensables en matière de protection sociale, de services publics et d’emploi pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux et réduire les inégalités, le Pacte budgétaire impose une restriction durable des finances publiques et interdit concrètement toute évolution vers le progrès social.
Alors que les inégalités entre les femmes et les hommes sont plus que jamais inacceptables, il est urgent de créer en suffisance des places d’accueil pour les enfants et des services d’aide aux personnes dépendantes, de renforcer les services sociaux et de santé en personnels et en moyens. Or ce Pacte, en rendant impossibles ces politiques et en pérennisant l’austérité, aggrave les inégalités entre les sexes.
A l’instar des féministes françaises ayant lancé un appel contre le Pacte budgétaire, nous refusons ce Pacte qui condamne l’avenir, sacrifie la démocratie et le bien-être des populations à la satisfaction des exigences des marchés financiers.
Dans une perspective féministe, nous appelons à la construction et à la prise en compte de résistances et d’alternatives à l’austérité en Belgique et en Europe, et vous appelons à ne pas donner votre assentiment à ce pacte.